1971-060

TEXTE SUR L'ART : Image numéro 1971-060.
De la page 119 à la page 160.


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des ressources…
Mon désir, tout comme par le passé, s’élabore avec
véhémence et évolue avec fougue. Passions, arrêts brusques,
espoirs insensés,…demeurent. La maturité de la
quarantaine tempérera-t-elle ces élans ? Je ne sais.
La trentaine apporte de la cohérence à mes
aspirations.
Vivre est ma passion de l’heure.
La problématique offre suffisamment de défis
pour fasciner et séduire mon esprit, mais surtout
suffisamment de globalité pour mobiliser mes
forces psychologiques et affectives.

Ce nouveau territoire-de-chasse que j’ai découvert
à 25 ans, je le parcours en tous sens.

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Je le défriche et le développe au maximum
de mon potentiel que je sens s’accroître au fur et
à mesure.
J’avais vécu seule la majeure partie de ma vie
pensante et mettons que l’on puisse dire
(le changement étant encore assez récent) la majeure
partie de ma vie.
Parler au monde à travers l’art avec un feed-
back
souvent différé de plusieurs années, un
peu comme l’on parle à dieu…c.à.d. sans
qu’il ne vous prennent jamais dans ses bras pour
répondre, sans même jamais avoir la preuve
qu’il vous répondra un jour…
C’est une forme de langage qui donne une
certaine maîtrise de l’expression-transmission,
mais qui ne garantit en rien la maîtrise de
l’expression-communication.
C’est au cœur de ce dilemme que je me
débats.
‘’Bah ! on eût pu employer plus mal sa jeunesse !’’

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Quoi qu’il en soit c’est à cette tâche que j’emploie
ma maturité naissante.
Que la réalité est étonnante !
Nous serions des êtres de perception, dit-on.
En tout cas, il est saisissant parfois de constater l’incroyable
non-coincidence entre ce que l’on sent et
ce qui est, entre ce que l’on est et ce que l’on projette,
entre…et…

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Peut-être que pour s’épanouir, l’on doit tous
être un peu une mère pour soi-même et se
donner naissance, forme, structure et vie.
Depuis cinq ans que je me remets au monde
morceau par morceau.
Je me souviens, il y a 5 ans, 4 ans, quand Pierre
m’aidait à donner vie à ma peinture dans le réel
quotidien. Il a fallu répondre à un million de
questions relativement au détail de chacune des toiles
exécutées depuis des années en remontant jusqu’au
présent. Je n’étais pas toujours convaincu de l’utilité,
ni même du sens parfois de cette démarche.
Mais première réponse ? Je ne savais pas trop comment
interpréter cet interrogatoire…je craignais parfois qu’il
signifie que Pierre n’appréciait pas ma peinture.
Quoi qu'il en soit, je m’emportais souvent au début
devant son insistance à questionner : ‘’mais voyons,
tout est là, c’est clair, non !’’ ou encore ‘’Mais enfin,
pourquoi ne peu-tu me croire quand je te dis que
j’ai tout dis sur la toile ; s’il y a un endroit où je
n’ai jamais menti, c’est bien dans mes toiles !’’
Puis j’ai réalisé soudain qu’un art de création,
c’est tout un langage inventé et que comme
tout autre langage pour qu’il puisse servir à
transmettre : il doit être accompagné
d’un dictionnaire de traduction et de définition…
Cette découverte a révolutionné ma vie de
peintre. D’ermite peignant, elle a fait de moi

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un peintre vivant.

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Après,
Je me moquais de moi-même et avec moi de tous
les barbouilleurs de l’histoire du plus génial au
moins inspiré en criant sur tous les toits qu’ ‘’il
faut au moins s’expliquer avant de brailler aux
incompris dans cette vallée de larmes si froides pour
les pauvres sensibles petites âmes de poètes ! ! !’’
Du jour au lendemain, pratiquement sans transition,
j’ai cessé d’être un peintre compliqué et dur à
comprendre. Je m’étonnais sans cesse qu’il suffise
d’expliquer une toile à quelqu’un, même un pur
étranger, pour qu’il puisse enchaîner spontanément
sur une longueur d’onde que je saisissais moi-même
très bien.
Mais la plus grande surprise peut-être ne me vint
pas par ces ‘’purs étrangers’’…
Dans ce temps-là, et Pierre et moi donnions beaucoup
de conférences sur ma peinture à l’extérieur bien
sûr de mon cercle immédiat de connaissances.
Et voici qu’au bout d’un certain temps, moi-même
et à peu près toutes mes nouvelles connaissances
étaient devenus familiers du langage, de la symbolique
et de la signification de ma peinture.
C’est alors que la plus grande surprise vint.
Mes plus vieux amis, ceux-là mêmes qui
avaient assisté pour ainsi dire à la création de
ces toiles, qui très souvent en connaissaient suffisamment
le détail extérieur pour les décrire
et même se souvenir du moment et du lieu de
leur création, ces vieux amis familiers étaient

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devenus presque les seuls de mon entourage à
ne rien pouvoir dire de la signification exacte

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d'aucunes toile…
J’en étais consterné !
Cela voulait dire que Mireille Bédard par exemple
aurait pu écrire ma biographie d’une certaine
époque, si une telle entreprise du moins pouvait
se limiter à relater et décrire une série d’événement,
de gestes, d’actes, de traits de caractère.
Car concernant une certaine époque, fin des années
60, début 70, nous nous sommes vues TOUS les
jours et avons partagé et fait un tas de choses ensemble.
Et pourtant, elle n’aurait RIEN pu avancer sur
aucune des toiles qu’elle avait vu prendre forme
devant ses yeux, qui ne soit pure conjecture…
Cela signifiait que je ne lui avais alors JAMAIS
rien dit de toute cette partie de ma vie qui correspond
pourtant sans conteste la plus grande portion
de ce que je vivais vraiment alors…
Étrange découverte.
Qui ai-je donc été pour tous ces gens avec qui ?,
à côté de qui ?, parmi qui j’ai vécu durant ces
années ?
Je sais clairement ce que chacun a été pour moi,
je sais clairement ce que j’ai ressenti la plus
part du temps, du moins pour une énorme portion
(comparé à la moyenne des ours),
tout cela, c’est ma vie bien sûr,
cependant je sais que je risque presque de ne

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même pas me reconnaître si ces mêmes gens devaient
se mettre à me raconter à moi-même
ce qu’ils ont pensé de moi parfois…
J’ai traversé le monde en regardant principalement.
Longtemps parler m’est apparu comme une simple
décoration à usage distrayant sans relation particulière
avec l’élaboration véritable des relations
humaines.
J’ai appris à manipuler les mots pour me distraire

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comme d’autres apprennent à jouer au golf.
Les mots et les constructions du langage parlé ont
commencé de me fasciner consciemment quand j’ai
appris le latin. Les idées et les constructions d’idées,
quand j’ai connu les philosophes…La pensée
et la construction de la communication ? Je ne sais trop,
mais on dirait seulement quand j’ai fait la rencontre
avec la psychanalyse didactique, il y a 6 ans.

Bizarre, n’est-ce pas ? Faut le voir pour le croire, mais
en substance, c’est quand même vrai.
Bien sûr, il m’est arrivé de temps en temps de
ressentir une gêne, comme un sentiment d’incapacité
à atteindre les autres…mais la plus part du
temps je ne faisais pas le lien direct ni avec l’importance
de la nature des échanges verbaux, ni même
avec le sentiment de souffrance et de solitude
qui m’étreignait jour et nuit…en y pensant
je crois que c’était peut-être davantage un sentiment
d’abandon que de solitude, oui, oui car
le sentiment de solitude m’est demeuré très longtemps

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ignoré et pour cause : je préférais travailler-créer
plutôt que de vivre, alors chaque fois que j’étais seule,
j’en profitais pour m’abandonner à ma passion…
Remarque que le calcul, bien que peu orthodoxe, n’était
pas entièrement bête : pendant que ‘’le monde’’ s’adonnait
à son passe-temps préféré en s’entretuant, juste
à côté, je m’amusais à le recréer par l’image en immortalisant
les différentes envolées de ses passions telles
que je les percevais. Et croyait-on m’atteindre en
m’impliquant un peu plus dans l’une de ces bagarres,
que l’on n’ajoutait en fait qu’une scène de plus à ce
long roman-feuilleton de la condition humaine telle
que perçue alors par une enfant-du-siècle…du
moins voulais-je alors tenter de le croire.
Le plus étonnant de toute l’affaire, c’est que ça ne

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semble pas être tout ce chari-vari qui ait été
l’origine première de ce chagrin que je devais trimbaler
en moi, comme s’il allait de soi, jusqu’à l’âge
de 25 ans…
Il me semble de plus en plus que devant toute
cette affaire mon cœur soupirait en ce disant : et
voilà, un malheur n’arrive jamais seul, enfin au point
où on en est !
Et c’est justement ce ‘’point’’ dont la nature exacte
m’intrigue toujours.
Enfin trêve de psychanalyse !
Comment aux juste et pourquoi, le fait est
que le langage parlé ne m’a pas apparu

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devoir être considéré comme une invention particulièrement
essentielle au niveau du vécu quand
à l’élaboration des relations humaines.
En plus de l’utiliser pour spéculer intellectuellement,
ou pour sa valeur sonore musicalement
et dramatiquement parlant à l’intérieur de spectacles
de chanson, théâtre et poésie, je dirais que
dans le cadre de mes relations avec les autres,
j’utilisais principalement la parole dans le but
de distraire ou divertir quand j’avais le goût de
communiquer avec quelqu’un en particulier, vu
que j’avais remarqué très tôt le malaise que ressentent
la plupart des personnes face à l’idée de
rester assis ensemble simplement à s’entre-regarder
ou à regarder quelque chose.
Et aussi peut-être, de temps en temps de façon
un peu plus égoïste : quand on me propose de rester
là, assis, à regarder quelque chose qui ne m’intéressait
pas, que je trouvais ennuyant, comme des
émissions de télévision. Évidemment chacun sait
bien d’instinct qu’il serait mal accepté de trouver
dans un salon, une personne regardant la télé et une
autre personne regardant la première regarder la télé.

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Alors dans ces cas-là, je parlais et ça rendait le
tout normalement acceptable.

J’attachais évidemment une importance tout à
fait ‘’relative’’ à ce que je disais. Cela m’arrive

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encore quelques fois quand je m’oublie et ça joue
de vilains tours. Car étonnamment, il n’en va pas
toujours de même pour l’auditeur…

Donc à 25 ans, la découverte globale du facteur réel
de la pensée et de la construction de la communication.
Bien sûr, on ne reconstruirait pas NEW-YORK en un
jour. Et bien sûr c’est le facteur de la pensée
réelle et de la pensée relative qui m’a séduit le
premier !
Puis tout de suite après, son expression : pour moi,
la construction de la communication par l’IMAGE,
hé, oui !
Et c’est seulement après en avoir opéré la traduction
en langage parlé pour le bénéfice de l’homme
que j’aime (et qui n’éprouvait que peu de difficulté
à réclamer la satisfaction de se besoins de
façon non-équivoque, contrairement à la majorité
des personnes qui avaient jusqu’alors formé le cercle
de mes intimes et contrairement à moi-même d’ailleurs
c’est seulement après avoir effectuée cette traduction
et après avoir pu en mesurer l’efficacité
fulgurante auprès de mes semblables, que
j’ai réellement songé à commencer une ré-évaluation
des communications verbales !

je commençais à réaliser qu’à ma méprise

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la plus effarante, j’avais sans doute, il y a

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de cela très longtemps, FAIT D’UN SEUL
CAS LA RÈGLE !
Du moins, c’est l’explication que j’ai cru pouvoir
apporter à cette méprise de taille : ayant
dans le passé, vécu en situation où le langage
parlé n’avait pas la moindre efficacité en ce qui
a trait à permettre à deux personnes de communiquer,
j’en avais déduit tout bonnement ou
plutôt, je n’en avais pas été amenée à déduire
que la parole doive jouer un rôle d’importance
dans les communications humaines.
(Ayant par ailleurs appris de mes professeurs probablement
ai-je pu reconnaître en même temps qu’à
l’enseignement, une valeur aux monologues
alternat entre deux personnes – Pour le plaisir
de l’observation, il est à noter que à toute règle, il y
avait ici aussi une exception ; en effet, il est un cas
où j’avais le sentiment parfois que je parlais dans
un but bien précis et directement relié aux mots et
aux phrases que je prononçais : quand j’étais très
en colère. Mais encore là, je n’espérais pas de réaction
précise à des idées contenues directement dans les mots
employés. J’escomptais plutôt, dépendant des circonstances
provoquer une réaction à moi ou à la situation
dont il était question. Et le cas d’exception en ce qui
avait trait à entendre quelqu’un me parler, c’était
quand quelqu’un m’exprimait un chagrin
alors là, immédiatement je dépassais le stade

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d’entendre simplement pour passer à celui d’écouter.
C’est deux exceptions, si l’on accepte le type d’explication
que j’ai proposée pour l’énoncé ‘’d’un seul cas,
la règle’’, ces deux exceptions doivent alors probablement
s’interpréter en concluant qu’il s’agit des
deux seuls exemples où j’ai constaté personnellement
dans ma jeunesse, une certaine efficacité
du langage parlé : quand mes parents gueulaient,

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quand mes parents pleuraient – C.à.d. s’ils gueulaient
j’essayais de ne pas écouter, si je gueulais
je produisais parfois de l’effet (effet en rapport ou
non avec ce que je disais en gueulant) et quand je pleurais,
ils essayaient de ne pas écouter, s’ils pleuraient
j’écoutais. Ainsi va l’alchimie de l’apprentissage
psychologique !)

Depuis que j’ai révisé mes positions sur le
rôle et l’incidence du langage parlé, je m’attache
à compéter mon apprentissage de ce langage.
Mais disons qu’il faut s’attendre à ce qu’il paraisse
encore pendant un certain temps qu’il s’agit là
pour moi ‘’d’une langue seconde’’.
Alors pour le moment j’attache ma vigilance et ma concentration
sur deux points en particulier. Perdre l’habitude
d’une part d’employer la parole comme simple
moyen de diversion. Prendre l’habitude d’autre part de
susciter le dialogue avec les gens. Perdre une habitude,
d’accord, des réflexes conditionnés ; ça demande beaucoup
de vigilance. Mais prendre une nouvelle habitu-

***** (Page suivante)

de, dans ce cas-ci, ce qui complique surtout les
choses, c’est que je n’en sais foutre rien de comment
il faut procéder, moi ! Et si tu penses que
les gens sont pour me donner un coup de pouce !
Pense donc, à mon âge, pour la majorité des gens,
blablater en duo c’est aussi simple que de mettre
ses chaussettes. Et dire que j’attache depuis toujours
autant d’importance aux gens et que techniquement
j’ai si peu d’adresse pour le moment à susciter leur
jasette autrement qu’en questionnant carré. Et dire
que je ressens tant de choses en moi que j’aimerais
communiquer directement avec toute la subjectivité
du langage parlé spontané et que j’y parviens
si peu !
Et en plus depuis que je me rends bien compte

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que la majorité des gens compte sur le dialogue
pour s’amuser ensemble et se comprendre, hé, bien,
moi aussi ça me gêne de rester en silence à
regarder quelqu’un !
Souvent je commence bien une rencontre,
puis tout à coup après une couple de silences
où mon partenaire n’a pas relancé tout de
suite la conversation, je n’en peux plus de fébrilité
et alors je me jette à l’eau et je commence à
lui raconter toutes sortes de choses et alors
ça me détend. Je peux généralement me mettre
à penser à autre chose ou à
l’observer plus librement sitôt que je le
sens bien mordre à l’hameçon de mon discours de

***** (Page suivante)

distraction.
Bon. Voilà !
J’ai expliqué tout cela bien chirurgicalement
et avec un air de pince-sans-rire. Les écrits littéraires
manquent beaucoup de chaleur comparativement
à la peinture. Pour leurs auteurs, du moins !
Peut-être aussi bien sûr, y ai-je moins de maestria…
En tout cas, pour écrire un texte pareil, il faut
être motivé, croire que cela puisse servir à quelque
chose…
ça, c’est d’un côté,
de l’autre, disons que le côté pince-sans-rire, qui s’est
introduit (en terme de feeling), je ne sais trop où en cours
de route, vient probablement tempérer la vulnérabilité
trop offerte où me place cette démarche…’’

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***** (Bio., page : 746) (Avril 1978)

***** (Extrait d’une lettre adressée à des amis en Jamaïque. Monique les informe qu’elle
déménage à Montréal et de ‘’l’impact’’ que cela aura sur son art.) (En anglais)

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‘’… And for me, I will be
right on the spot to CATCH every single chance that
can be grown for my painting.

For my painting I must say many thing are going
on. Let us say that there is two parts in my work.
My painting it self witch can be consider as the main
piece and some fast drawings that I create from time to
time as a series of sketch on the same theme,
like birds, children, lovers, old people and so on.
This second part is for my pleasure like an exercise
and certainly less important than the first part witch
represent more specifiqualy what I feel, what I see
what I think of life.

***** (Page suivante)

Here in Montréal, it is too big to know every body
personally like I do in Jamaica. So too sell your paintings
you really need to go trough a gallery of art.
Those gallery’s of art are very traditionalist and own
by older people who have their own vision of what
is beauty and what is not.

I went to almost all of them and bet what they
told me : they would like to expose my drawings
witch are ‘’cute’’ but not my paintings
witch they boycott because my paintings represent
to well what I think et the way I see the
society and this reveal a critic of
that society they share.

Let us say that what I paint is what I think and
what you think and what more and more
of the youth think either here than in Jamaica.

…Rasta vib…

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So I have decider to fight my way trough them and
even against them if needed.
And other people, young people, people our
age will help me

***** (Page suivante)

Those directors of gallery’s said that a painter
as only to know how to draw beauty, that a painter
as not to think and show his own opinions and
positions on life and society.
for me, I believe that cultural liberty is
for every one and that a fellow does not need
to be a rich doctor, or a minister or a director of
museum to decide what he loves and what he does
not love, what he believe and what he does not believe.
They tell me ‘’why don’t you switch from painting
to writing ; Painting is not a matter of thinking, it
should be only a matter of beauty’’. I answered ‘’ do you
mean that painting must only be decoration, like
nice curtains in a room ?’’
Few years ago, they where saying the same about
music and look the success of a Bob Marley in Kingston,
in New-York, in Paris, in Montréal. What is the
meaning of this success ? Bob Marley is not only making
good music, he also sings what he feels, what he thinks.
As for Perry. Even if he does not want it expressly, he sees

***** (Page suivante)

things trough his camera and he feels it and
the final product, his film shows his reflection, his concern.
Every one who is not blind and ‘’deft’’ or half
dead reacts to the life in the generation.
So we wont let it go et we will continue to be
simply but clearly our self.
And the number of people who understand
the meaning of my painting starts gradually
to increase.

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I send you a few pictures for now.

There is here a big theatre witch is in
Québec, like the Olympia in Paris, that means
that it has a great deal to do with the career of artists
here. His name is ‘’The Partiot’’. This theatre has two
buildings. One is down town and the newest one witch
is in the North of the country in the mountains Laurentides
is celebrating his tenth anniversary this year.
They organise a festival of art, music, theatre, painting, this summer starting
the twenty forth of June witch is the National
Feast in Québec. Since five years this Patriot in the

***** (Page suivante)

North is presenting paintings exhibitions regularly.
But ten years ago, the Partiot down town
presented his first art exhibition which my paintings.
So they have decided for this celebration of there anniversary
to introduce the first ten days of there
festival by presenting me again and alone to represent
the paintings in this festival.

The Patriot gallery is a good one who is not afraid
to let the people be and think freely, they
have always accepted all of my work.

Meanwhile Radio-Canada has invited me for the
end of may for a radio broadcasting of
half an hour. They want me to tack about my paintings,
Jamaica and the rastaferian movement ! ! !...’’

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***** (Bio., page : 751) (31 mai 1978)

***** (Voici le communiqué de presse (présentation et un écrit de Monique)
qui a été distribué aux médias lors de son exposition au Patriote à Ste- Agathe.)

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COMMUNIQUÉ

31 mai 1978
RE : EXPOSITION DE MONIQUE JARRY
DATE : 23 juin au 8 juillet
LIEU : Le Patriote à Ste- Agathe

Une conférence de presse organisée pour
présenter une saison d’activités artisti-
ques sous l’égide du Patriote infiniment
plus connu de la colonie journalistique
pour ses présentations de scène que d’art
plastique.
Une artiste- peintre déjà présentée par le
Patriote, il y a dix ans, Monique Jarry.
De Monique Jarry dont l’expérience picturale
remonte à plus de 15 ans originent concurre-
ment des mouvements d’animation sociale et
culturelle, des prises de position d’ordre
éducatif, politique et philosophique, des
créations théâtrales d’environnements et des
écrits qu’elle signe : Monique Jarry
‘’Libre’’ libre- penseur
---------------

*** Le scénario- type de la critique d’art plastique proprement
dite se déroule généralement suivant deux modèles bien limita-
tifs. Ou bien on vous tombe à bras raccourcis avec des
descriptions matérielles minutieusement détaillées du ‘’produit’’
et de sa fabrication ‘’au point que l’on en vient à se demander
pourquoi ces ‘’annonces publicitaires’’ ne sont pas ENCADRÉES et
présentées comme telles au lecteur- consommateur. Ou bien un pseu-
do- intellectualisme doublé d’un authentique hermétisme tient fer-
mement le public à distance au point que l’artiste en vient à se
rendre compte que l’élitisme n’est pas un honneur mais une pri-
son.
En tant qu’artiste sur quel média puis-je compter pour établir
le contact entre le public et moi ?

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Il est rare qu’un artiste- peintre soit partie d’une conférence de
presse à laquelle les journalistes rencontrés sont essentiellement
des journalistes du domaine vaste des arts et spectacles. Je suis
enchantée de ce contact car la peinture peut bien être ‘’ENTRE-
AUTRE’’ ce qu’en disent les critiques d’art mais elle est ‘’AUSSI’’
un élément ‘’VIVANT’’ et de la culture et de la société. Nul ne son-
gerait à cantonner la politique par exemple sous la plume des poli-
ticologues en l’excluant de l’information publique en général.
Il doit en aller de même pour la peinture vis-à-vis du monde vas-
te des arts et des spectacles.
IL Y A BEAUCOUP PLUS À VOIR DANS LA PEINTURE que la simple
reconnaissance d’un langage de la forme, du mouvement, de la couleur,
etc…
Tout comme pour la chanson par exemple, ça n’est pas que le rythme,
l’instrumentation, les costumes, etc. qui ont fait d’un Charlebois,
une Pauline ou un Raoul les représentants appréciés et aimés de leur
public…
Tout comme une distribution prestigieuse, de grands moyens, etc.
n’ont jamais suffi à faire d’une pièce de théâtre ou d’un film, un
succès assuré…
Sait-on par exemple que notre chanson québécoise est l’une des chan-
sons les plus dynamiques de l’époque, qu’elle témoigne de notre évo-
lution quotidienne, que dans vos articles et entrevues, vous témoi-
gnez de ses chanteurs, auteurs et compositeurs, mais… qui témoi-
gne de cette chanson elle-même ?
Et qui demeurera pour en témoigner dans cinquante ans quand la mo-
de les auras consommé et enseveli?
La peinture DEMEURE et son pouvoir de témoignage s’accroît avec le
temps.
Réalise-t-on que lorsque quelqu’un s’écrie ‘’j’ai eu un FLASH ter-
rible cette nuit en rêvant’’, il s’agit rarement d’un paragraphe
de mots écrits dans l’espace du sommeil mais bien d’un ‘’FLASH- IMAGE’’
qu’au petit matin on raconte avec des mots, faute de mieux…
Le peintre peut transmettre ses flashs et ses rêves sans intermé-
diaires, ni traduction.
Peut-on toujours décrire en parole ce que l’on ressent à la
lecture des œuvres des courageuses patriotes féministes,
à la naissance de notre enfant, au cent quatre-vingt-troi-
sième jour d’une grève, à l’avènement d’un nouveau gouverne-

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ment, à l’instant de l’orgasme particulièrement savouré…
La peinture peut parfois EXPRIMER la substance inexplicable
d’un sentiment ou SAISIR L’INSTANT fugitif d’une réalité in-
tangible.
Voit-on que la peinture peut être le prêt - à- porter de l’expres-
sion pour quiconque ? Va donc t’exprimer en composant avec un
piano si tu n’as aucun pré-requis technique !...ou si tu n’as
pas de piano…Le bout d’un orteil dans le sable d’une grève
lisse et humide, une branche d’arbre sur un matelas de feuilles
mortes à l’automne, un crayon sur le mur face au téléphone, et
la matière capte et accepte ton message.
Les peintres sont des émetteurs spécialisés de messages ; ils en
offrent même le spectacle au public. Et ce domaine-là, c’est
notre affaire à vous et à moi.

Monique Jarry
Artise-peintre
‘’Libre’’ libre penseur

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***** (Bio., page : 803) (Début 1979)

***** (Écrit au début de 1979)

(Lettre écrite à un futur étudiant en peinture de Monique)

qu’est-ce que tu veux apprendre ?



je vais te dire que je VEUX
mais ça n’est pas de mes affaires
de vouloir pour toi
je le dirai pourtant
je l’UTILISERAI

- le ‘’veux’’ comme technique de ‘’projection’’

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nous travaillerons ensemble à : CONCEPTUALISER un langage
(voir : outil
entendre-percevoir : réserve)

Je te parlerai pour t’É-MOUVOIR, te MOUVOIR la voix intérieure, c’est tout, pas plus
tu devras être honnête et préciser toi-même la qualité et le rythme auquel
je dois te bombarder d’idées-images pour que le noyau de ton inconscient éclate et
libère son énergie, sa vision du monde. Tu choisiras librement d’être poussé
un peu, toujours un peu plus au de-là de toi-même, pour évoluer,
Tu demanderas volontairement que l’on t’é-meuve, que l’on te dé-stabilise sitôt
que tu sentiras que tu retrouves ta forme et ton équilibre car la vie que tu cherches
est le mouvement. Le créateur est libre et prend sa totalité en tout et partout

***** (Page suivante)

il ne peut ignorer qu’il vit, qu’il est (son outil d’existence)
mammifère humain terrien ; c’est en l’étant-participant
le plus au total qu’il est le plus. Et la ‘’vie’’ au sens ‘’scientifique’’
du terme si je peux dire est mouvement. Il you can’t
fight them, join them. La création intervient quand se réalise
la co-science de toutes nos perceptions. Cette action
d’ajustement du focus, de computation, quand elle se transcende
devient la magma que l’artiste modèle. Cette action de
computer demande au mammifère humain une certaine latitude,
une certaine liberté d’action, du ‘’temps et de l’espace’’ en termes
de ce que ces concepts signifient pour nous. Pour demeurer vivante
pour n’être pas que du réchauffé l’œuvre doit saisir le mouvement
quand il ‘’mouve’’. Et la seule façon pour le créateur de réunir les
conditions (doubles) nécessaires à l’exécution de sa volonté (c.à.d. la stabilité-temps espace
dont il a besoin pour performer ET l’instantanéité dont il a besoin pour saisir sa
perception-proie VIVANTE) c’est d’épouser-être le mouvement de la vie.

tu peux écrire, prendre des notes non pas si tu marques ce que je t’ai dit
mais si tu y précises ce que tu as pensé au fur et à mesure. Car ma pensée
ma vision du monde ne t’arrangera pas pour ce qui est de conceptualiser la tienne.
Rien ne veut rien dire en soi. Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises causes. Il n’y a

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rien qui soit de l’art en soi ou qui n’en soit pas en soi. Tu ‘’artistes’’ ou tu n’artistes pas voilà.

Note : Howard *****(un de ses élèves) peut dessiner le sentiment général ou l’objet particulier
mais de quoi, pourquoi, où, dans quelles circonstances.
dans quelles ambiances et POURQUOI ?

Il faut revenir neuf à chaque fois à l’atelier. Comme un chasseur à la première heure du premier
jour de la saison (ou du dernier)
Il faut que tu trouves en toi ce sur quoi, aujourd’hui, ici, et maintenant, tu pourrais exercer
‘’TA VOLONTÉ de dépassement’’.
Je ne peux que t’offrir des bouts de bois et te montrer la rivière qui mène à la mer ;
à toi de décider comment et si tu iras à la mer.

***** (Page suivante)

- quand tu dis que ton dessin est fini, tu choisis qu’il
est complet…est-ce juste qu’il est complet ? Ton choix
est-il logique, congruent, libre ? juste ? Ton choix
doit devenir aiguisé, juste et dur comme le diamant. En
attendant tu dois agrandir tes ailes, tes moyens pour t’assurer
AU MOINS qu’il est LIBRE et non assujetti à tes capacités
(à la limitation de tes capacités) genre : j’arrête parce que je
ne sais pas comment je pourrais dire plus et non j’arrête parce
que j’ai dit.

- je te regarderai travailler sans intervenir apparemment
c’est pour protéger la liberté de ton ACTE de
créer – ta liberté-pouvoir d’agir est ta qualité précieuse…
comme une virilité naissante qu’il faut séduire,
attirer et non juger, commander sinon elle débandera
tout simplement. Créer c’est une faculté…
naturelle…chacun l’aborde au début de sa vie…l’accueil reçu
ou le résultat obtenu ou…ou…déterminent l’assurance
ultérieure du sujet…créer n’est pas une technique,
c’est une faculté, une méthode d’approche à la vie,
d’appréhension de la vie.
Le fait de te regarder travailler est mon intervention
car je t’y vois : voir dans. J’y décèlerai, trouverai,

Page 137

choisirai les suggestions que je te ferai plus tard,
les stratégies que je mettrai sur pied pour te stimuler
à l’action, les ‘’pièges’’ que je fabriquerai pour te
faire ‘’tomber à la rencontre de toi-même’’.

----------------------------------------

***** (Bio., page : 806) (25 janvier 1979)

***** (Extrait d’une lettre à une amie)

‘’…je suis seule et je
mesure ma vie comme je le fais souvent ces
temps-ci…je mesure l’art, le temps, l’amitié,
les mœurs des mammifères humains…
sans rien dire, en dedans de moi, je n’ai peut-
être jamais autant analysé ces mœurs…et
je mesure et je mesure comme l’artiste d’an-

***** (Page suivante)

tan mettait son pouce entre lui et son sujet…
‘’ça’’ mesure en moi, tout, je suis comme
un ‘’jugement suspendu’’ devant ma propre
vie, durant les entractes…
Ainsi sont les hommes ? Ainsi sont les femmes ?
Ainsi comportent-ils ? Ainsi je réagie ?
Ainsi se profile mon propos ? ? ?
C’est ainsi que l’ ‘’art’’ s’affirme, se conceptualise,
se justifie, de moments en moments
en moi…
Le ‘’monde’’ me lasse peut-être. Au moment
où je le saisis le plus, au moment
où je suis probablement de toute ma
vie, de toutes mes inhibitions, de tous
mes affects le plus libre et…disposer à
disons-le, à l’embrasser et le saisir à
pleines dents…au moment où il m’échappe
le moins, sa réalité propre m’apparaît

Page 138

n’offrir que peu de chair à nourrir pour le
genre d’appétit d’ours-ailé comme moi.
Comme humain probablement ai-je mauvais
caractère. Comme femme sans doute suis-je
devenue incapable de ne plus exiger une
certaine éthique. Comme artiste, je croirais
bien que je suis en train peu à peu de me
rendre leader de la femme humaine en
affirmant de plus en plus et en la constituant :
la suprématie de mon monde à inventer
non seulement par-dessus mais en
guise de réalité quotidienne.
La réalité, son choix et sa définition, est
une DÉCISION.
Je m’ouvre au monde, je le veux, je le sens
et je crois que je le peux.
Et pourtant la réalité choisie et communément
privilégiée par ce monde me lasserait
je crois…
Elle ne saurait sans doute plus avoir l’air
de me déplaire comme telle… : ça n’est pas
de mes affaires au fond ce que les autres
choisissent de faire de leur vie, non ?
Mais cela peut tout de même faire plus que
de ne pas m’intéresser : cela peut me lasser.
C’est un peu le sentiment qui ressort de
plusieurs de mes ‘’tractations’’ avec autrui
depuis le mois de janvier (cela exclu bien
sûr les vieux loups de ma ménagerie intérieure
comme toi ou André C. – d’ailleurs
c’est pour ça que c’est à toi que je peux choisir
d’en parler)
Est-ce donc cela ‘’être sociable’’ ? J’ai vraiment
essayé depuis le début de 1979. Et je me
dis que si oui : ça n’en vaut pas la peine.
Ni au plan humain, ni face aux objectifs
professionnels que je me fixe pour ce qui est
de voisiner suffisamment avec le monde pour
y porter – loger mon message.

Page 139

Disons que j’ai voulu rencontrer le monde dans
ses plates-bandes propres une fois encore
en toute disponibilité morale et en toute conscience
pour évaluer quelque chose comme
‘’la rentabilité pédagogique’’ de cette approche.
Et voici qu’en cours d’observation, quelques analyses
se détachent déjà suffisamment clairement
pour laisser entrevoir qu’il vaudra probablement
mieux amener le monde ici, dans
mon atelier, dans mon univers, moi-même et
à ma façon, c.à.d. le rencontrer sur mon

***** (Page suivante)

terrain.
Le dialogue, au niveau et sur les modes
que je privilégie y sera plus susceptible
de s’épanouir.
Voilà, c’était l’une de ces réflexions hors-
contexte que je t’avais promises au téléphone
récemment. Est-ce intelligible ?
Je vois et je vis tant de choses et de gens
simultanément…et mon approche peut
tellement se qualifier d’expérimentale
contrôlée et pourtant globale…
je vois bien que je suis engagée dans
une espèce de processus total d’expérimentation
et d’observation et d’analyse combinées
MANDATÉ par ma plus haute instance de
vie qu’il faut bien réaliser qu’il s’agit
là de l’enclenchement d’un processus DECISIONNEL
et EXÉCUTOIRE pleni-potentaire.

Et j’en hume de plus en plus et j’en
use et en userai jusqu’à l’obtention de
la situatioon-réalité souhaitée et viable
NÉCESSAIRE.
J’ai tout MON temps et cependant mon
temps n’est PAS LE temps cosmique illimité.

Page 140

Alors procédons, accouchons, prenons
les moyens pour ; tous sont envisageables
pour l’ ‘’existenciation’’ de ce rejeton
tant attendu…’’

----------------------------------------

***** (Bio., page : 831) (2 mai 1979)

***** (Extrait d’une lettre écrit à un ami.)

C’est un peu là je pense que j’en suis
cette semaine. Finis les folies, finit le
vacarme, faites taire le bruit-du-
monde, je n’entends plus la petite
voix de la vie qui parle quelque part en
moi
Alors, je me retraite…
C’est la plus dure période : j’ai mis
le bruit dehors déjà, mais la petite voix
n’est pas encore revenue…ça prend toujours
quelque temps quand on l’effarouche…
…mais enfin, ça va marcher, elle revient
toujours…d’ailleurs quand on commence à
avoir envie d’écrire plutôt que parler, c’est
généralement bon signe…
…quand elle parle, alors la création jaillis
tantôt création de pensée, tantôt création
d’art…on ne choisit pas…quelle qu’elle
soit la création libère, apaise, RÉPONDS,
elle répond à l’angoisse de vivre, à l’âme.
Retraiter, faire le vide, taire le monde,
jeter dehors le bruit puis attendre seule
jusqu’à ce que la voix réponde, c’est le

5

moyen, bien sûr et je le connais
mais ça signifie : faire tellement le silence

Page 141

(et ça arrive souvent, très souvent,
presque toujours, hélas, dans l’extrême
solitude), faire tellement le silence que
TOUTES les questions se mettent à venir
autour de toi, dans toi, jusqu’à être
toi et quand tu deviens tellement concentré
que tu deviens une question précise
toi-même, alors, alors seulement la voix
se met à répondre comme un télex qui
part soudain et se met à fonctionner n’importe
quand, tout à coup…si l’artiste
est de service à ce moment-là, il n’a
qu’à noter, noter, noter, tout ce qui
sort de là…témoigner.

En ce moment, je suis seule, les questions ne
font que des pressions sur moi de toutes part.
Elles dansent autour de moi comme des folles,
confusément et je n’en discerne encore aucune
clairement. Elles me pressent sans me
donner de prise encore. Elles m’oppressent
et je n’ai pas encore d’emprise…c’est le
pire moment. Mais tant qu’à faire, j’espère

6

que je saurai garder en moi assez de
pression (assez de retraite, de concentration, de
silence, de sagesse) pour qu’une voix plus forte
Et claire jaillisse…y’en a marre des
exaltations moyennes, quel bien-être quand
peut naître la création forte et puissante et
juste d’un orgasme réussi…
Je dois tellement souvent m’arrêter ou me
retenir car d’autres contingences (sociale,
matérielles, financières, etc…) m’appellent
avec urgence…depuis si longtemps…
et surtout, surtout, toujours faire attention
de ne pas ‘’débander’’ en attendant.

Page 142

Passerais-je à travers l’usure, les contraintes
et la provocation du temps ?
Deviendrais-je une grande artiste ?
Réussirais-je à acheminer avec, contre et
à travers tout, l’âme et le talent que j’ai
construits jusqu’ici vers l’œuvre
‘’justificatrice’’ (ha ! ha !) ? ? ?
En attendant, ici, seule,…vide…désert
…les niaiseuses questions d’un million, celle
auxquelles nulle réponse globale n’existe, viennent
toujours en premier, (merde) : pour
qui ? pour quoi ?

7

merde et remerde,
pour qui, pour quoi ? ! ! est-ce que
je sais moi ! Je ne suis pas un philosophe,
je ne suis pas dieu moi, je ne
suis qu’une simple artiste !
Enfin faut prendre son mal en patience
(encore ce maudit mot, il m’enquiquine ces
jours-ci)
faut toujours laisser le
temps aux bébés d’accoucher en paix,
ceux de l’esprit, comme ceux des
affaires, pas vrai ?’’

----------------------------------------

***** (Bio., page : 848) (18 novembre 1979)

***** (Extrait d’une lettre à un ami.)

‘’…Essaie de saisir car j’essais bien fort de t’exprimer ce que
j’ai pensé et dieu ! que j’ai pas ‘’le don de la parole’’ quoi
que beaucoup puissent en penser. C’est d’ailleurs probablement
et très principalement pour ça que je suis bon peintre.
C’est la seule manière avec laquelle j’ai le sentiment de

Page 143

parvenir à exprimer un peu de ce que sens. Mais pour
communiquer avec quelqu’un…ça aide pas tellement de
ne faire que des images. Et je le sais ! Je le sais ! bon dieu
je le sais…je le sais maintenant…depuis un certain
temps déjà…crois-moi c’est con à dire mais pendant long-

2

temps…dix ans…flush, ça m’avait pas effleuré…je travaillais
jour et nuit pensant qu’à force de travailler, de libérer miette à miette,
pas à pas, année après année, de libérer le geste, la ligne, la couleur
de toute auto-censure, on trouverait le cœur. Pensant qu’à force de
voir, de sentir chaque petite ligne du corps, chaque petit creux, petite courbe
détail après détail, jour après jour, à prendre chaque petite ride au creux
du regard de l’enfant, du vieillard, de la belle, de la laide, du peureux,
du frondeur, des gens de bien, des gens de bar, du fort comme du faible
du sûr-de-lui comme du dépravé, retraçant en tous le cœur du
monde…si je ne ménageais jamais égoïstement ma peine, si je
pouvais me purifier de toute indifférence du regard, si je me contraignais
constamment aux efforts de perfectionnement nécessaires
pour libérer le désir des contraintes calices de la technique
j’arriverais à traduire peut-être quelques morceaux de cœur du
monde…j’avais la vision que le merveilleux pauvre cœur du monde
feellait souvent bien mal dans sa solitude…comme abandonnée
et je voulais lui faire le cadeau de lui montrer qu’il n’était pas
seul et que moi ‘’puce- aux- désirs- plus- grands- que- ses- forces’’
je le voyais et je l’aimais même si son essence est si difficile
à saisir, même si je ne peux l’expliquer comme tentent toujours
de le faire les psychologues, les sociologues, les historiologue, les
systèmologues, etc…tous ces ‘’logues’’ fortiches, MÊME si sentir
me submerge souvent tellement qu’il me jette à terre, fiévreuse,
vide de tout sauf de l’amour.
On fait toujours beaucoup de projection dans la jeunesse de
sa vie, alors je m’imaginais que le cœur du monde
avait déjà toute une armée de ‘’logues’’ scientifiques pour le comprendre
et que selon toute apparence ça ne semble pas lui suffire
pour être heureux…alors j’ai pensé qu’avec mes petits
moyens à moi, mon petit cœur, le surdéveloppement de mon oeil…
ma sensibilité trop grande pour la ‘’gamme’’ du vaste monde mais jamais

Page 144

assez trop grande quand on veut aimer, mes bouts de ficelles, mes bouts
de papiers, mes bouts de rêve, mes bouts de couleur, je pourrais
peut-être lui donner l’amour…qui sait, le cœur-du-monde
se sentirait peut-être mieux si on l’aimait…
prends juste toi, ou bien moi par exemple : si on m’aime et que
je le sais pas alors ça m’aide pas à me sentir mieux. Si je t’aime
même en ‘’sketch’’ encore brouillon, balbutiant’’ mais que tu
sais : au moins t’es moins seul quand tu te crois seul…non ?
Enfin j’ai VU beaucoup de choses, à sentir j’en ai compris
quelques-uns…d’apprentie me voici maintenant compagnon,

3

mais tout cela est peu en regard de tout ce qu’il faut percevoir,
appréhender, concevoir jusqu’à le sentir clairement comme le jour
pour devenir maître, posséder la maestria de peindre, de donner l’amour.
Pour moi l’art c’est un peu tout ça, cette quête vers soi-même, vers se
donner naissance, existence, bras et bouche et sexe et pouvoir d’aller
vers l’autre. Bien sûr, ça n’est pas la démarche de tous les artistes.
Il y a ceux qui s’accrochent à la recherche du feeling.
Il y a ceux qui défendent une thèse plasticienne, esthétique ou
idéologique.
Ceux qui veulent refaire le monde.
Ceux qui le vomissent.
Ceux qui veulent le violer.
Ceux qui veulent le maîtriser
le transformer
lui dicter ses modes, ses goûts, ses danses, un Bien et un Mal
et tout et tout.
Ceux pour qui l’art est plus gratuit, plaisir et consommation.
Ceux qui lui tournent le dos et pour se créer un autre monde à eux.

Moi…l’art est une ascèse à mes yeux.
Prends ça avec un grain de sel, c’est souvent le seul moyen
de saisir l’idée des choses.
Après tout on est pas des purs esprits.
‘’ni diables pour investiguer le passé,
Ni dieu pour hypothéquer l’éternité’’
on est rien que des p’tits cœurs du monde.

Page 145

Dans ce temps-là j’étais pas facile à la détente crois-moi,
je savais pas que j’étais rien qu’un petit cœur temporaire…naïveté !
Rien ne me salit. Pas grand mérite à ça. C’est seulement que je
suis adicte à la vie et qu’en toute subjectivité amoureuse, je vois à peu
près dans tout ce qui englobe la condition humaine une espèce
de ‘’drama’’ infiniment beau à force de pathétique et de…FRAGILITÉ.
Même le cœur plus amoché, salopé, vidé devient si pathétique
quand on sait que même lui ne peut échapper ça la condition humaine :
RIEN, RIEN, RIEN, ni personne ne viendra mourir à sa place le
moment venu.’’

----------------------------------------

***** (Bio., page : 867) (1 février 1980)

***** (Lettre commencée en juillet 1979 et terminée le 1 février 1980. Extrait d’une lettre à Paul.)

1

‘’Le temps se comporte de court, de moyen, de long
terme au rythme de la respiration de celui qui
l’appréhende.
Debout certains embrassent plus fort leur amour face à leur famille,
d’autre à leur histoire et d’autre, à leur
condition de mammifère humain…
les uns à la remorque
de leurs passions, les autres charrieurs
de leurs amours, accoucheurs invétérés de
perspectives à nul autre visible qu’à celui
dont l’œil est une tête chercheuse qui s’abat
sur l’âme des choses et des êtres…, l’amoureux,
…le regard amoureux sur le monde
comme outil de connaissance…
………………..h……………..

Ho ! bonjour Paul, tu te demandes qui s’adresse
à toi comme ça, comme à un interlocuteur
familier…peut-être te souviens-tu

Page 146

le premier jour de cette longue fête,
au milieu de la cour, la cousine
de Pierrette : je suis Monique, Jarry-la
peintresse.
Les peintres de ‘’long terme’’ ont parfois cette
habitude de cheminer en eux-mêmes et d’énoncer
tout à coup au milieu du silence, oubliant
que le cheminement de leur réflexion n’a pas toujours
été audible pour l’autre…ha ! ha ! ha ! un
peu comme un radis égaré sur une table de
boucher…’’

***** (Un autre extrait de la même lettre.)

‘’…Aujourd’hui c’est le 1ier février, je crois,
de 1980
ça n’était ni un texte ‘’littéraire’’
ni une ‘’lettre orthodoxe’’
comme disait Carl Gustave Jung :
‘’Ceci n’est pas l’histoire de ma vie mais
l’histoire du mythe de ma vie’’
…ainsi procèdent souvent les hosties- de-
poètes- de- ma- sorte.

J’avais donc par la suite décidé de ne pas t’envoyer
Ta lettre (car c’est tout de même incontestablement
TA lettre) pour différentes raisons.
D’abord ce genre de style de langage ne peut trouver
sa place que dans le cadre d’un discours avec ‘’SUITE’’
Une ‘’suite’’ dans la tête d’un peintre ça peut être

20

dans un jour, un mois, un an, 10 ans…
notre job en est une de si long terme, alors
les détails d’espace et de calendrier n’entravent
jamais en rien la continuité de nos fidèles démarches

Mais qui pourrait comprendre cette liberté

Page 147

transcendante en plein siècle d’instantannéisme
et opportunisme…’’

----------------------------------------

***** (Bio., page : 883) (22 mai 1980) (Ce dossier va de la page 147 à 211)

***** (DOSSIER : Textes dans le cadre de la performance que Monique a donnée au
Théâtre Expérimental des Femmes le 22 mai 1980. Note : En plus de sa performance,
les responsables du théâtre ont demandé, l’année suivante, à Monique une affiche créée par elle.
(Voir no. : 1981-010))

INTRO



Avant de performer j’ai ressenti le
désir il y a quelques jours de préciser
‘’un peu’’ certaines réflexions qui m’ont
‘’terrassées’, ( ha ! ha !) en songeant à la
manifestation de ce soir.



1

Art et intimité
Création et liberté
angoisse et solitude
(America)
Inhibition et censure
oppression et auto-répression
inertie et désir
fièvre et envie
anti-intimité et anti-art
trouble et audace
vouloir et contrôle
devoir et auto-censure
soif et subversion

Page 148

désespoir et liberté
hystérie et résurrection
malaise et puritanisme
irresponsabilité et audace
révolte et création
chaleur et fièvre
énergie et assurance
mouvement et sérénité
liberté libératoire

11

volonté et inhibition
désir et puissance

J’ai voulu
choisir
sélectionné

le thème de l’impact de la maternité
sur la liberté individuelle de la
mère-femme, liberté sentimentale,
professionnelle et juridique, philosophique
et idéologique
le lieu d’intervention manifeste eut
été le psychologique.
Le thème était pertinent, son émergence
logique et congruente avec le
déroulement de mon œuvre
d’artiste et de ma démarche d’individu
le choix de ce thème, judicieux dans
le cadre des circonstances :

. mettre en forme puisqu’il s’agit d’art
visuel et plastique, la peinture,

111

. traduire personnellement puisqu’il

Page 149

est question du constat, non principalement
de l’œuvre mais de la démarche de
l’artiste,

. vivre le jour ‘’dit’’ en présence
de l’autre, ‘’live’’ puisqu’il s’agit
d’une performance,

. sélectionner dans la matière disponible,
le sujet, l’angle, le thème qui en
ce moment, ces mois-ci, cette année,
s’avère pour le sujet performant, ici
l’artiste-peintre, le plus d’actualité
possible puisque l’intention et
la décision de cette ‘’performance’’ du 22 mai
sont intervenues au hasard des rencontres
et des dialogues à peine un mois avant
ce festival.

Compte tenu de ces différentes contraintes
de la matière disponible de ma recherche picturale
et de l’incidence de ma vie personnelle
de 1980, le choix de ce thème apparaît
parfaitement judicieux.

1V

« « Performance,
Exposé,
Témoignage
Rencontre
Conférence
Manifeste
Spectacle
Lecture
Show…


PERFORMANCE !

Page 150

Qu’est-ce qui singularise spécifiquement la performance.
La performance peut englober
tous les contenus sans restriction.
La performance peut adopter toutes
les formes sans restriction
…………
Le propre de la performance…
est…son unicité…peut-être.
Sa réalité se lie à son existence même « «
Par de-là, envers, contre et avec son contenu

V

et sa forme, son existence naît de
l’actualisation de l’intention de l’être ‘’performer’’ » »
« « Une poésie-performance par exemple n’en n’est pas
la simple interprétation ; c’est la re-création
de cette poésie en présence de l’autre » »
avec une intensité moindre, égale,
supérieure ou AUTRE que celle de laquelle
est née l’œuvre originale ou l’intention
originale d’œuvre.
Une performance est Toujours unique
jamais exactement semblable même
avec les mêmes thèmes, contenus et formes
techniques d’une fois à l’autre, d’un
public-événement à l’autre.
« « Une performance est toujours un
témoignage actuel. » »

Et voilà, pour le moment, la question
De la ‘’performance’’ comme telle.

V1

Festival de femmes
Participation de peintres
Art et création
Festival et création,

Page 151

création et engagement
Toute démarche créatrice est engagement
« « Sans engagement la création n’est
que fabrication !
divertissement ou
décoration intérieure. » »
Créer ? Se subroger entièrement et totalement
un instant à son propre devenir.
Être un instant la matière de ce qui
s’exprime, pour le compte de se
qui cherche à s’exprimer, à naître.
Cet acte de créer marquera au fer
indélébile l’être qui en consacrera l’existence
par son propre agir, ne serait-ce
qu’un seul instant, consciemment
ou inconsciemment.
« « l’acte de création est irréversible. » »

V11

Prière de s’abstenir aux êtres
redoutant l’engagement.
Vous vous y sentiriez brimés, violés
cet acte pour les unes si libérateur
deviendrait vite le pire des esclavages.
Quelle condamnation quand en plus d’avoir
à cacher ses sentiments, on se trouve
prise à cacher ses œuvres et le sens
de ses œuvres
« « la création est » » aussi « « investigation
du monde » »…, de l’autre
…et de soi…
« « la science est investigation du
monde, l’analyse est investigation du monde
la création a ceci de particulier de
ne jamais conclure définitivement
ni de statuer » », ni…et c’est là
le piège (ha ! ha !), l’envers de la médaille
de cette merveilleuse liberté que beaucoup

Page 152

lui envie : de ne se garder aucune
porte de sortie, de n’offrir aucune
protection à son officiant.

V111

Aucun retranchement sûr, ‘’à toute épreuve’’
ni celui du bon-sens-à-tout-pris,
de la logique évidente, du C.Q.F.D.,
le ce-qu’il-fallait-démontrer d’un exposé
bien structuré.
« « la création ne peut prétendre
démontrer » » quelque énoncé qui soit à
priori « « puisque la création tente de créer » »

Voilà, pour le moment de la création.
Pour cette première invitation
Aux arts dits ‘’plastiques’’, je préfère
‘’visuels’’, dans ce point, ce territoire psychologique,
dans ce foyer de rencontre
qu’est peu à peu devenu pour nous
le théâtre expérimental des femmes,
je ne pouvais venir sans essayer au
moins dans mes propres mots qui tantôt manquent
de précision et tantôt en mettent
un peu trop, je ne pouvais venir sans essayer
de situer mon médium
et son lieu d’intervention.

« « Il y a pour l’artiste, dans l’art,
tellement plus que quelques objets produits. » »

1X

Il me semble souvent que l’outil
le plus direct et le plus profond d’investigation
et d’appréhension de toute chose
est le regard-amoureux-sur-le-monde.
Je ne parle aucunement ici de la question

Page 153

de l’amour telle que j’en ai entendue
parler et vivre depuis la trentaine d’années
que je suis arrivée ici…sur la planète
je veux dire,
non, non, pas cet amour qui me fait lever
chaque fois qu’on m’en parle
en sursautant : ‘’L’amour ? C’est
bien la dernière chose dont j’ai besoin
d’ici à ma mort ! ! ! ‘’
Par Le regard-amoureux-sur-le monde
en tant qu’outil de connaissance je parle
d’une pratique qui s’exerce délibérément
à partir de soi et par soi au travers
et auprès-de-ce- qui lui plaît, cette démarche
qui n’engage et
ne concerne que l’être qui la pratique, ce
focus que l’on exerce en toute liberté
comme on peut bien regarder ce que l’on
veut et qui l’on veut de l’instant que l’on

X

a un œil pour voir
ce que l’on voit alors est notre vision
et cette « « la vision de la création et la vision de l’œuvre
appartient IMPRESCRIPTIBLEMENT à l’œil qui la visualise » »
L’œuvre en tant qu’objet n’est ni
plus ni moins que quelqu’objet que ce
soit. Le miracle d’une peinture
n’est pas dans le bout de carton
ou de toile qu’il soit signé de Léonardo
de Picasso de moi ou du dépanneur,
Mais essentiellement dans la démarche
de l’auteur en ce que telle peinture
signifie de sa vision du monde et dans
la démarche de l’autre, le ‘’public’’
dirons-nous, œil à son tour visualisant
l’œuvre et en projetant une vision pour
lui-même.

Page 154

Et voilà pour le moment de
La vision, de l’œuvre et son image.

Si je pouvais transmettre mon
amour de l’art ça irait beaucoup
plus vite que d’essayer d’expliquer
quoi que ce soit.

X1

Mais on est pas télépathe !
Difficile à encaisser comme contrainte
n’est-ce pas ?
Enfin !
Je veux simplement dire combien
la démarche de l’artiste et son œuvre
sont liés.
Bon suffit pour aujourd’hui ! Passons
au show.
Devais-je me copier moi-même
et raconter ici sous la forme
d’un show toute l’information recueillie
sur le thème ‘’Mieux vaut une mère absente
et vivante que morte et présente ?’’, parce
que c’est ce qu’il y a 4 semaines, c’est
ce qu’en toute liberté j’ai dit que je ferais
ce soir ?
J’aurais pu, ça aurait satisfait à
la logique la plus élémentaire. Pourtant
est-ce de logique qu’il s’agit ou d’art ?
Le show aurait pu être bon, c’est ça le pire
seulement je suis ici pour faire une
‘’performance’’ et non un show. Dieu, pourvu
que j’y arrive au moins pendant cinq
minutes !

X11 A

Ha ! ne croyez surtout pas que

Page 155

je vous baratine pour éviter la ‘’job’’ !
Non d’ailleurs, si je n’avais pas été faire
la ‘’gaffe’’ de me précipiter en pleine
transe de création dês que j’ai su qu’aujourd’hui
je viendrais ici, rien de ce problème
ne me serait arrivé.
Car, juré craché, l’après-midi
que j’ai pensé à ce thème-là, quand
j’en ai parlé à Nicole Lecavalier et
à Louise Laprade, j’étais parfaitement
sincère et surtout je l’avais parfaitement
en tête.
Le soir même je me mets à écrire
pleine pleine pleine d’idées,
je me dis je mets d’abord tout en vrac
comme ça vient au fur et à mesure que
je vois la projection de chacune des
toiles sélectionnées pendant une semaine et demie.
Après je choisirai les meilleurs flashs et
je monte mon scénario final. C’était logique,
non ?

X11 B

Mais voilà !
Comme toujours en création, il arrive,
on trouve des tas de choses qu’on ne
croyait même pas chercher…
et ce qu’on cherchait…hé ! bien…
on le cherche parfois encore sur notre
lit de mort !
Une minute de silence pour
la démarche créatrice et pour
le pathétique !
Au bout de deux semaines de sérieux
labeur, très sérieux, bien tiens je prenais
ça très au sérieux le Festival des Femmes !
Je me suis arrêtée inquiète une fin de
semaine. Inquiète vous comprendrez, c’est

Page 156

pas que j’aime dramatiser, mais il ne
restait que deux semaines et j’avais l’impression
d’avoir été à côté de la
‘’track’’ et d’avoir peut-être à tout recommencer
mais avec ‘’discipline’’ cette fois !
J’ai tourné en rond dans ma tête
toute la fin de semaine et le dimanche soir
me suis couchée en me disant : Fuck !
on verra ça Lundi matin, jour du lavage pas vrai.

X111

Un coup couchée, pour me calmer les
nerfs et pour me déculpabiliser un peu
(dire que mes voisins pensent que j’exerce
le métier le plus libre du monde !)
donc pour me déculpabiliser, je prends
une feuille de papier et je me mets à noter
tout ce que j’ai à faire lundi, question
de m’assurer que ce n’est pas
vrai que je fou rien et que je ne gaspille
pas délibérément ce précieux temps qui
exceptionnellement, me fait
si cruellement défaut vue la date imminente
de la performance du 22 mai.
Ho ! j’étais à deux doigts de m’engueuler
de me traiter de non-chalance, d’irresponsabilité
même – moi qui avais pourtant généré
tout un stock de riches idées
de performances depuis 2 semaines, au moins
trois douzaines…mais pas sur le bon
thème ! ! !
Ho ! j’acceptais le blâme, qu’est-ce qu’on
est indécrottablement polie, aimable,
soumise, gentille, stupide, putain de merde !
MÊME QUAND ON SE CROIT LIBRE !
(ton blasé) – heureusement ‘’c’est touchant !’’


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X1V

Dans la longue liste des choses que
j’avais à faire ce lundi (hé ! c’est que je
travaille fort moi !...du moins j’avais un
urgent besoin de m’en convaincre ce jour-là !),
j’ai remarqué après coup qu’au cœur
de ce retour à la discipline que j’allais
m’imposer pour les deux dernières semaines
je m’étais ménagé, sans penser à mal
croyez-bien, faut bien se faire un peu
plaisir de temps en temps ! Je m’étais
ménagé le plus beau petit ‘’candy’’ de
la semaine et justement pour
ce premier lundi- du- devoir- d’état.
Entre autre j’avais noté sur ma liste :
‘’ – commencer à compiler les notes des
deux dernières semaines en vue d’un document
global à illustrer…’’
Sans plus de détails.
J’avais déposé ma liste de ‘’devoirs’’ à la tête
du lit, à côté du cadran ;

XV

Je m’étais déjà souhaité bonne nuit et
j’avais ouvert un livre afin de me détendre
avant de m’endormir…Depuis un
moment je ne cessais de relire les mêmes
lignes sans vraiment parvenir
à m’y concentrer…
tout à coup, le ‘’flash’’
Je m’assoie…m’allume une cigarette
…décide d’aller me chercher un jus,
y a rien de trop beau…
…puis quoi, merde ? ! ! ! qu’est-ce
que j’ai fait de mal ? C’est quoi cette
histoire de discipline traditionnelle à
la con ? ?...

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Pas d’affaire à suivre d’autre discipline
que celle de ma vrai job ! Et ma vrai
job, c’est de créer, c’est pas de monter
d’ABORD des dossiers, suis pas recherchiste
ou spécialiste de dissertation ou
de propagande, de conférence, d’histoire
de l’art ou de démonstration. La peinture

XV1

c’est pas du théâtre O.K. c’est dans un
théâtre qu’on m’a invitée, mais à titre de
peintre, pas autre chose !
À chacun son métier !
Des thèses ressortent de ma démarche
bien sûr, mais faut pas intervertir
les choses, moi je n’illustre pas
mes thèses, ce sont elles
qui illustre ma création qui est
en elle-même son langage et son
propre discours. Tout texte qu’on
y adjoint illustre l’image et
non l’inverse ; les illustrations
peuvent varier à l’infini selon l’illustrateur mais le discours original
demeure et dans ma démarche
le discours, c’est l’image.
Donc y a à s’énerver : quoi que je
fasse comme performance le 22, ça reviendra
toujours au même pour le
fond puisque le discours original
sera l’image et que les images de peinture
sont déjà choisies.

XV11

Et voilà que je commence à écrire
tout ça en pleine nuit assise dans
mon lit, d’un jet, car le flash m’est
venu tout à coup que ce que j’ai

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vu ici au théâtre depuis que
j’y viens, ça instruits psychologiquement
et socialement bien
sûr mais c’est du théâtre et non
de la thérapie de groupe et des
conférences d’information.
Et je me dis aussi tout à coup,
moi un thème comme celui que
j’ai énoncé il y a deux semaines,
je consacre normalement un an
à l’étudier, à m’en imprégner
avant de pouvoir y performer librement
et créer dessus. Un mois,
t’es pas malade de t’imaginer que
ta performance aussi humble soit-elle
peut-être au point.
Je suis actuellement dans la deuxième
phase de ma démarche,

XV111

ce que j’appelle : le déblayage
la première, c’est l’impulsion
tout ce qui m’est venu spontanément
à l’esprit et à la bouche cet
après-midi là au téléphone avec
Louise puis Nicole.
La motivation de ce que j’ai vue,
de ce que j’ai vécu, j’ai senti.
Ma fille de treize ans avec qui
je vis depuis des années une vraie
histoire de Roméo et Juliette, un
grand amour en cachette, réprouvé
de tous, interdit par son
père où elle vivait jusqu’à la semaine
de Pâques, censuré, dénigré, violé,
jusqu’à cette violente prise de conscience
que ma fille vit depuis quelques semaines,
cette crise dite d’adolescente et qui ressemble tant à une

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crise révolte pour l’amour et la

X1X

justice.
Cette fille passionnément
aimée sous l’opprobre du secret
et de l’attente qui se conscientise
et s’engage d’heure en heure
et viens me dire fiévreuse et
tremblante « « Maman tu as bien
fait de partir ! Je ne comprends
même pas pourquoi, comment
tu aurais pu hésiter, je ne sais
pas encore le détail de comment
c’est arrivé mais je sais maintenant
que quoi que tu aies tenté
pour l’expliquer on ne t’aura pas comprise, on ne t’a même
pas écoutée, 13 ans ont
passé et il ne sait toujours
pas pourquoi tu es partie j’en
suis sûre, sûre, sûre, je le sais, il croit que je ne veux
plus rien savoir de lui et il ne (*****)

***** (Il est écrit ce qui suit dans la marge et au verso de la page X1X en encre d’une autre couleur)

(- La démarche créatrice s’élabore dans la présence absolue et totale
de l’artiste à son thème. L’œuvre de création ne respire pas aux
éclairages des tabous, des puritanismes et des valeurs tombées
en désuétudes. Militer, c’est…militer.
Et créer…c’est créé.
Militer, tantôt provoquant, tantôt médian envers l’ignorance ;
Militer éduque. Créer : l’énoncé sans orientation d’une
critique intransigeante. Créer : imposer unilatéralement
sa vision du monde. Sans commentaire, la créativité
est un art martial.
Que dire de la femme créatrice évoluant parallèlement

***** (Suite : Image numéro img133.)